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Jeanne Brugère-Picoux

Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France
 
Alzheimer
 
En France, les démences de type Alzheimer (DTA) touchent près d’un million de personnes. Du fait d’une atteinte dégénérative et progressive des neurones cérébraux, elles se traduisent principalement par une perte de la mémoire. Les lésions des DTA se caractérisent par une accumulation dans les neurones de la protéine tau (tauopathie) avec des dépôts amyloïdes. Depuis longtemps, des similitudes avaient été suggérées entre la maladie d’Alzheimer et la maladie de Creutzfeldt-Jakob (MCJ) [1,2], la principale différence étant que cette dernière était transmissible alors que l’on n’avait jamais démontré formellement la transmissibilité d’une DTA (seule la transmission de l’amylose sans l’apparition de signes cliniques avait pu être observée dans les essais de reproduction expérimentale) [3]. Cependant une publication de 2018 signale la possibilité d’une transmission interhumaine sans greffe d’un tissu d'origine cérébrale [4]. Il s’agissait de huit personnes ayant subi une neurochirurgie, le plus souvent pendant l’enfance et présentant trois décennies plus tard une angiopathie cérébrale amyloïde.

Les chercheurs du laboratoire des maladies neurodégénératives au CEA (équipe de notre confrère Marc Dhenain) démontrent pour la première fois que l’on pouvait transmettre la maladie d’Alzheimer sous ses aspects cliniques et lésionnels par inoculation de tissu cérébral provenant de patients atteints de cette maladie [5]. Ce travail a pu être réalisé sur de petits lémuriens (Microcebus murinus), ces microcèbes mesurant 12 cm, pesant 60 à 120 g et considérés comme âgés à partir de 6 ans. Douze microcèbes adultes ont été inoculés avec des extraits cérébraux de personnes décédées de la maladie d’Alzheimer et ont été surveillés pendant 18 mois. Aucune altération n’a été observée pendant les 6 premiers mois post-inoculation (mpi), démontrant que l’inoculation n’était pas immédiatement en cause. Ce n’est qu’à partir de 12 mpi que les aspects cliniques et lésionnels d’une maladie d’Alzheimer sont apparus : troubles cognitifs, modifications de l’activité neuronale démontrée par un électroencéphalogramme, atrophie cérébrale. L’accumulation de la protéine tau et des dépôts amyloïdes (surtout proches du site d’inoculation) étaient peu importants chez certains primates mais il est possible que ces lésions auraient été plus importantes si l’on avait gardé les animaux au-delà des 18 mpi. Les six microcèbes témoins inoculés avec du tissu cérébral sain d’origine humaine n’ont présenté aucun symptôme ni aucune lésion.

Il s’agit de la première démonstration de l’induction de signes cliniques associés à l’inoculation de cerveaux humains «Alzheimer», renforçant ainsi l’hypothèse d’une origine «prion» non limitée à la MCJ. Comme la MCJ, la maladie d’Alzheimer ne peut pas être considérée comme une maladie contagieuse. Cette affection pourrait être transmise dans des circonstances exceptionnelles, justifiant de recommander des précautions particulières lors d’une intervention en neurochirurgie.

D’ailleurs on a pu suspecter la transmission de lésions qui rappellent celles d’une DTA chez l’Homme dans des circonstances exceptionnelles (injections d'hormone de croissances issues de cerveaux, procédures neurochirurgicales lourdes, en général en association avec des greffes de tissus d'origine cérébrale) mais sans pouvoir le démontrer formellement. D’autres maladies neurodégénératives, comme la maladie de Parkinson ou la maladie de Huntington, pourraient aussi avoir des propriétés communes avec les prions, dont leur transmissibilité.

 

[1] Brown P. et al. Alzheimer disease and transmissible virus dementia (Creuzfeldt-Jakob disease). Annals New York Academy of Sciences, 1982, 131-143.
[2] Lefrançois Th. et al. Démences de type Alzheimer et encéphalopathies spongiformes : analogies et théories nouvelles. Médecine/Sciences, 1994,10, 1141-1143.
[3] Goudsmit J. et al. Evidence for and against the transmissibility of Alzheimer disease. Neurology, 1980,30,945-950.
[4] Jaunmuktane Z. et al. Evidence of amyloid‐β cerebral amyloid angiopathy transmission through neurosurgery. Acta Neuropathologica, 2018, 135,671–679 (https://doi.org/10.1007/s00401-018-1822-2).
[5] Gary C. et al. Encephalopathy induced by Alzheimer brain inoculation in a non-human primate. Acta Neuropathologica Communications, 2019, 7, 126 (https://doi.org/10.1186/s40478-019-0771-x)
Jeanne Brugère-Picoux

Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France
 

 
En janvier 2018, un vétérinaire et le technicien qui l’accompagnait ont présenté des symptômes de type grippal peu de temps après être intervenus (72 heures et 48 heures respectivement) pour effectuer des écouvillonnages nasaux dans un élevage de 1000 truies gestantes atteintes d’un épisode aigu de grippe saisonnière classique (avec une hyperthermie, une dyspnée et une toux pendant 2 à 3 jours). Notre confère, suspectant une contamination d’origine porcine, a effectué aussi deux écouvillonnages sur lui-même, cinq à six jours après la visite. Les trois prélèvements réalisés sur les truies ainsi que les deux réalisés chez le vétérinaire ont effectivement révélé qu’il s’agissait du même virus.

Une enquête épidémiologique a permis de découvrir que le virus avait été probablement introduit dans l’élevage de truies par un employé qui, selon l’éleveur, présentait un syndrome grippal quelques jours avant l’atteinte des truies. Cet employé avait pris une douche et revêtu des vêtements de protection mais n’avait pas porté de masque et de gants. De même, le vétérinaire et le technicien ne portaient pas d'équipement de protection individuelle lors de la manipulation des truies malades.

L’intérêt de cette étude réalisée par une équipe pluridisciplinaire [1] est d’une part, d’avoir démontré une transmission bidirectionnelle d’un virus influenza H1N1 [1] et d’autre part, d’avoir identifié qu’il s’agissait du virus H1N1 de la première pandémie grippale du XXIe siècle, apparue en 2009 en Amérique du Nord (à l’époque où l’OMS annonçait que le risque pandémique serait probablement lié au virus H5N1 de la «grippe aviaire»). En 2009, ce virus grippal humain, dénommé influenza A(H1N1)pdm09 (ou pH1N1) s’est rapidement propagé aussi dans les élevages porcins, le porc et l’Homme étant sensibles aux mêmes virus influenza. On l’a ensuite retrouvé dans des grippes humaines saisonnières de même que sous une forme enzootique dans de nombreux élevages porcins.

Si l’on sait que l’exposition professionnelle aux porcs est un facteur de risque pour l’Homme [3], des cas de transmissions bidirectionnels d’un épisode grippal ont été rarement démontrés. Comme le virus pH1N1 circule depuis 2009 dans l’espèce porcine, des réassortiments peuvent se produire, représentant ainsi un risque accru pour la santé publique. Ces infections concomitantes par le virus pH1N1 rapportées dans cet article soulignent l’importance de la mise en œuvre des mesures de biosécurité ad hoc dans les exploitations porcines afin de prévenir la transmission du virus entre espèces mais aussi l’intérêt d’une vaccination annuelle contre la grippe pour les personnes travaillant dans la filière porcine. Ceci permettra, dans un contexte «une seule santé» de limiter le risque d’une transmission du virus pH1N1 du porc vers l’Homme et réciproquement de l’Homme vers le porc.

 

[1] Une équipe de l’Anses (Agence française pour l’alimentation, l’environnement et le travail, et la sécurité au travail) de Ploufragan, en collaboration avec l’Institut Pasteur, Denis Peroz (vétérinaire à Ancenis) et la «Plateforme épidémiosurveillance santé animale» de Lyon (E. Garin).
[2] Chastagner A. et al. Bidirectional Human–Swine Transmission of Seasonal Influenza A(H1N1)pdm09 Virus in Pig Herd, France, 2018. Emerging infectious diseases. 2019, 25 n°10, 1940-1943 (DOI: 10.3201/eid2510.190068).
[3] Ce risque de zoonose n’est pas limité au virus influenza comme le montre une étude récente de Taus et al. (Zoonoses and Public Health, 2019, https://doi.org/10.1111/zph.12633 : la séroprévalence d’une atteinte par le virus de l’hépatite E ou par Ascaris Suum chez les vétérinaires porcins autrichiens est multipliée par 1,5 ou 1,9 respectivement, ce facteur de risque disparaissant lors du port de gants. En revanche, la colonisation des cavités nasales par des Staphylococcus aureus résistants à la méticilline (SARM) reste multipliée par 4,8.
Patrice Debré

Professeur émérite d’immunologie à Sorbonne Université, membre de l’Académie nationale de médecine
 
Jusqu'où peut-on modifier l'homme ?
 
Nous avons le sentiment de vivre une période charnière. Les nouvelles techniques génétiques ont des pouvoirs inouïs. Elles peuvent être utilisées pour modifier les cellules du corps, mais également les cellules reproductrices – spermatozoïdes et ovules –, ainsi même que les cellules présentes aux premiers stades de l’embryon.

De telles recherches sont encadrées, mais failles ou imprécisions subsistent. Ainsi, concernant les cellules souches somatiques – celles du corps –, le Code de la santé publique, qui entoure ces recherches, ne les autorise qu’à la condition qu’elles soient de nature à « étendre la connaissance scientifique de l’être humain et les moyens susceptibles d’améliorer sa condition ». Améliorer ? Dans améliorer il y a modifier. Ce terme autorise à modifier l’homme pour accroître les capacités de l’organisme, telle une meilleure acuité visuelle ou une plus grande résistance à l’effort. Où sont les « droits de l’homme » en la matière, jusqu’où vont-ils ? Où est la frontière entre ce qu’il nous est (et nous sera) désormais possible de faire et ce que nous devons (et devrons) nous interdire de faire ?

Concernant les cellules germinales, il est écrit qu’« aucune transformation ne peut être apportée aux caractères génétiques dans le but de modifier la descendance de la personne » et que « la conception in vitro d’embryon ou la constitution par clonage d’embryons humain à des fins de recherche ou la création d’embryons transgéniques ou chimériques est interdite ». La possibilité d’utiliser ces techniques sur des cellules germinales à des fins de recherche se heurte ainsi à l’interdiction d’en valider les conséquences.

En revanche, le législateur n’a pas souhaité limiter la création d’embryons chimériques. Il est en effet possible et autorisé d’introduire des cellules souches humaines pour les développer dans des embryons animaux (et vice versa d’ailleurs). Or les interdictions qui pèsent sur ces pratiques sont variables d’un pays à l’autre. Ainsi le 1er mars 2019, la création de chimères homme-animal a été autorisée au Japon et le ministère des Sciences et Technologies donnait son feu vert, le 24 juillet, à un projet d’étude visant à développer un pancréas étranger chez des rongeurs en utilisant des cellules souches humaines. De tels embryons de rats ou de souris pourraient ainsi produire un organe humain, par la suite utilisable pour une greffe. Ces expériences ouvrent bien évidemment d’incroyables perspectives ! Celles-ci soulèvent aussi de nombreuses questions. Certes, les animaux d’expérience restent actuellement limités aux rongeurs et leur taille donne peu de chances, aujourd’hui, à une utilisation en transplantation humaine. Mais des expériences de cet ordre pourraient se faire chez le porc, la chèvre, ou même chez des primates non humains. Sans attendre la création et l’exploitation d’une telle ménagerie, que se passerait-il si quelques cellules souches, lors de ces expériences japonaises, migraient inopportunément dans le cerveau de ces petits rongeurs ou au niveau du visage. Va-t-on les laisser avoir une (mini) conscience humaine ? Verra-t-on des animaux à face humaine ?

Autant de questions plus délicates les unes que les autres.

La loi ne peut pas répondre à toutes.

Il y va aussi de la responsabilité de chacun. Comment la mobiliser mieux que par la connaissance et la réflexion ? C’est l’un des aspects essentiels de la mission que s’est donnée l’AFAS, participer à la diffusion de la connaissance et aider à la réflexion. Pour plus de responsabilité individuelle et collective.
 

Texte publié en éditorial du N° 2019-5 d'AFAS Infos (sept.-oct. 2019).
Jeanne Brugère-Picoux

Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France
 
Tique Hyalomma marginatum
 
Cet été nous avons été alertés à plusieurs reprises par les médias comme par le site Internet consacré aux maladies émergentes (ProMaid) à propos d’une invasion progressive de plusieurs pays européens par des tiques dites géantes. Ce fut le cas en juillet dernier au Pays-Bas, pays jusque-là indemne. Il s’agit principalement de l’espèce Hyalomma marginatum, tique dure reconnaissable à son long rostre et à ses pattes bicolores (anneaux blanchâtres aux articulations). Elle est deux fois plus grosse qu'Ixodes ricinus. A jeun, la femelle mesure 5 mm de long pour atteindre 2 cm lorsqu’elle est gorgée. Cette tique présente un cycle à deux hôtes (et non trois comme la plupart des tiques dures). Leurs larves infestent des petits vertébrés (lièvres, lapins, hérissons, oiseaux souvent présents au sol…) alors que les adultes seront retrouvés chez les grands vertébrés (sangliers, ruminants domestiques et sauvages, et surtout les chevaux). La particularité de ces tiques est d’être chasseuses. Contrairement à Ixodes ricinus qui se positionne sur des végétaux pour tomber sur l’hôte pour se fixer, Hyalomma marginatum se cache dans le sol, repère sa proie et se dirige vers celle-ci. Cette tique géante peut poursuivre sa cible pendant 10 mn, voire plus sur une distance jusqu’à 100 m.

Ces tiques ne sont pas nouvelles pour la France car elles sont connues depuis plusieurs décennies en Corse mais elles se sont aussi installées plus récemment en France continentale, en région méditerranéenne principalement [1]. Elles sont aussi présentes au Maghreb, dans la péninsule Ibérique, de l’Italie à la Turquie, autour de la mer Noire, dans le Caucase, au sud de la Russie. Le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (CEPCM) a publié en janvier dernier une carte signalant la présence ou non de Hyalomma marginatum (figure 1). Le CEPCM souligne cependant que certains signalements ponctuels ne signifient pas une installation pérenne de ces tiques, en particulier au nord de l’Europe. L’introduction de ces tiques pourrait être soit le fait d’un transport par des oiseaux migrateurs (hypothèse retenue pour les tiques découvertes en Allemagne), soit la conséquence de l’importation de chevaux ou de bovins infestés par des tiques adultes.
 

Figure 1

Hyalomma marginatum, January 2019
 
Dès 2009, notre confrère Stephan Zientara nous alertait sur les risques liés à ces tiques, notamment vectrices potentielles de la fièvre hémorragique de Crimée-Congo (FHCC), maladie humaine caractérisée par des symptômes sévères et un taux de létalité parfois élevé, en recrudescence en Europe orientale [2]. Cette alerte était justifiée puisque des cas autochtones de FFCC ont été observé en 2016 en Espagne (l’un dû à une morsure de tique, l’autre d’origine nosocomiale) [3]. Un autre danger représenté par ces tiques est la transmission de la fièvre boutonneuse, due à Rickettsia aeschlimannii. Ce danger est d’autant plus sérieux que le site ProMaid a signalé le 19 août dernier [4] un cas humain de fièvre boutonneuse en Allemagne chez un propriétaire de chevaux. Ce dernier avait envoyé la tique qui l’avait mordu à l’université de Hohenheim pour identification avant d’être hospitalisé quelques jours plus tard avec les symptômes alarmants d’une fièvre boutonneuse, rapidement jugulée par une antibiothérapie. Rickettsia aeschlimannii avait été isolée de la tique. Ce cas autochtone est d’autant plus inquiétant que, dans une étude épidémiologique sur Hyalomma marginatum et Hyalomma rufipes en Allemagne, la moitié des 18 tiques identifiées étaient porteuses de Rickettsia aeschlimannii [5].

L’émergence de ces tiques géantes ajoute de nouveaux risques infectieux liés aux tiques dans plusieurs territoires jusque-là indemnes. Elle démontre l’importance d’une prévention constante contre les morsures de tiques en général, la nécessité de mieux connaître les risques grâce aux travaux de l'Inra, du Cirad et de l'équipe de l’unité de recherche en maladies infectieuses et tropicales émergentes de l’université d’Aix Marseille, consacrés aux tiques et aux maladies qu’elles transmettent.
 

[1] Stachurski F, Vial L. 2018. Installation de la tique Hyalomma marginatum, vectrice de la fièvre de Crimée-Congo, en France continentale. Bull Epid Santé Anim Alim, 84(8).
[2] Zientara S. 2009. La fièvre hémorragique de Crimée-Congo est en recrudescence en Europe orientale. Bull Epid Santé Anim Alim, 33:13.
[3] Negredo A et al. 2017. Autochthonous Crimean-Congo Hemorrhagic Fever in Spain. N Engl J Med, 377(2):154-161.
[4] PRO/AH/EDR. Spotted Fever - Germany: Rickettsia aeschlimannii via Hyalomma Tick - 19 août 2019.
[5] Chitimia-Dobler L et al. 2019. Imported Hyalomma Ticks in Germany in 2018. Parasites vectors, 12(1):134.


Résumé, par Chercheurs Toujours, de la conférence d'Yves Agid (membre de l'Académie des sciences, co-fondateur de l'Institut du cerveau et de la moelle épinière, professeur émérite de neurologie et biologie cellulaire, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris) du 30 janvier 2019 à l'Institut Pasteur - Partenariat AFAS / Chercheurs Toujours
 
Parkinson
 
 
Le terme maladie neurodégénérative fait peur. L'idée de vieillir n'est déjà pas très réjouissante. La perspective de perdre progressivement la mémoire, la conscience de soi, la motricité, la vue ou l'audition risque de gâcher une fin d'existence.
 

Figure 1 : Levodopa non-responsive symptoms


 
Les mécanismes intimes qui sont à l'origine de ces affections commencent à être décrits dans le détail, mais les causes en sont inconnues, sauf dans les rares cas de maladies héréditaires. De fait, la quasi-totalité de ces maladies sont sporadiques. Autrement dit, s'il y a à l'évidence des facteurs de prédisposition génétique, des facteurs de l'environnement sont nécessairement contributifs.

La maladie de Parkinson est une maladie du mouvement, caractérisée par lenteur, rigidité, et tremblement. L'affection est facile à identifier, mais le pronostic est difficile à établir.
 

Figure 2 : Brain lesions


 
La perte des neurones dopaminergiques, présents dans la substance noire du cerveau, caractérise la maladie, dont les symptômes apparaissent lorsque plus de la moitié de ces neurones ont disparu. La présence de corps de Lewy dans la substance noire du cerveau est également propre à la maladie.

Le traitement par la L-DOPAMINE est actif chez 15 % des malades, moins actif chez 70 % et inactif chez 15 % d'entre eux. Cependant, il ne doit pas être commencé trop tôt car le médicament peut être toxique pour les neurones et ses effets bénéfiques diminuent avec le temps. La stimulation à haute fréquence du noyau sous-thalamique est efficace dans les formes évoluées de la maladie.

Sauf cas exceptionnel, la maladie n'est pas héréditaire. Par ailleurs, la contribution de facteurs environnementaux à son développement a été longtemps ignorée. Mais depuis quelques années, des protéines pathologiques ont été reconnues non seulement au sein du système nerveux mais aussi dans des organes périphériques comme l'intestin. Bien plus, ces protéines sont capables de migrer des organes périphériques vers le cerveau.

Mais comment sont produites ces protéines anormales ? Comment migrent-elles ? Jouent-elles vraiment un rôle dans la genèse et l'évolution de la maladie de Parkinson ? Autant de questions sans réponse aujourd'hui. Cependant, les principaux mécanismes de la mort neuronale étant maintenant connus, on devrait prochainement être capable de ralentir, voire stopper l'évolution du processus pathologique. Les succès actuels de la thérapie cellulaire et génique sont attendus pour soulager les patients.
 

Figure 3 : Agents toxiques de l'intestin vers le cerveau

Jeanne Brugère-Picoux

Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France
 
Les éoliennes peuvent-elles être mises en cause dans les problèmes ayant affecté deux élevages bovins en Loire-Atlantique ?
 
Les nuisances liées aux éoliennes évoquées par les riverains ne sont pas récentes et de nombreux rapports témoignent de la complexité pour démontrer un éventuel effet nocif. Cet effet peut être lié en particulier aux nuisances sonores.
A ce sujet, le dernier rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), publié en mars 2017, «précise que les données disponibles ne mettent pas en évidence d’argument scientifique suffisant en faveur de l’existence d’effets sanitaires liés aux expositions au bruit des éoliennes. Les connaissances actuelles en matière d’effets potentiels sur la santé liés à l’exposition aux infrasons et basses fréquences sonores ne justifient ni de modifier les valeurs limites existantes, ni d’étendre le spectre sonore actuellement considéré».
Deux mois plus tard, le rapport de l’Académie nationale de médecine [1] présenté par le Pr Patrice Tran-Ba-Huy confirmait que «les nuisances sanitaires semblent avant tout d’ordre visuel (défiguration du paysage et ses conséquences psycho-somatiques) et à un moindre degré, sonore (caractère intermittent et aléatoire du bruit généré par les éoliennes d’anciennes générations). Au plan médical, le syndrome des éoliennes réalise une entité complexe et subjective, dans l’expression clinique de laquelle interviennent plusieurs facteurs. Certains relèvent de l’éolienne, d’autres des plaignants, d’autres encore du contexte social, financier, politique, communicationnel» et «la crainte de la nuisance sonore serait plus pathogène que la nuisance elle-même (effet nocebo)».

Mais les éoliennes peuvent-elles aussi présenter des nuisances pour les animaux ?

On connaît surtout la mortalité animale liée aux éoliennes concernant les oiseaux migrateurs, les rapaces et les chiroptères, du fait de collisions. C’est pourquoi, depuis plus d’une quinzaine d’années, il existe un partenariat entre la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), le ministère de l’Ecologie et les représentants de la filière éolienne autour d’un «Programme éolien et biodiversité» pour limiter les impacts potentiels des parcs éoliens et préserver ainsi la biodiversité. Dans le cadre de ce partenariat, la troisième édition du séminaire «Eolien et biodiversité» de 2017, parue le 18 mai 2018 [2], souligne surtout les problèmes liés à l’avifaune.

L’implantation d’un parc éolien en Loire-Atlantique en 2012 semblerait à l’origine du «syndrome des éoliennes» chez certains riverains (maux de tête et insomnies) mais aussi de troubles dans deux élevages de bovins laitiers (mammites, baisses de production et troubles du comportement), le premier comptant une trentaine de vaches Prim'Holstein, avec salle de traite à 1,3 km de l’éolienne la plus proche, et le second, 70 à 75 vaches en lactation avec robot de traite.

Dans le rapport établi le 4 avril 2016 pour le Groupe permanent pour la sécurité électrique en milieu agricole (GPSE) par le président Claude Allo et notre consœur Arlette Laval, les troubles ont débuté au moment des travaux de construction des éoliennes mi-2012, dans ces «deux élevages, associant infections mammaires, baisses de production et troubles du comportement..., avec refus des animaux à se déplacer dans certaines zones de l’élevage, voire sur la route, toujours au même endroit et, par des réactions en cours de traite, avec décrochement des gobelets trayeurs et traites incomplètes».

Trois séries d’expertises ont été réalisées : zootechniques, vétérinaires et électriques. La première expertise, en février 2015, a permis la mise en évidence d'un contaminant environnemental, Streptococcus uberis, dans le premier élevage (déjà atteint en 2012 par un staphylocoque coagulase négative). Dans le second élevage, aucun contaminant spécifique n'a été isolé sur les mammites subcliniques signalées, les problèmes en cours de traite étant «révélateurs de stress ou d’inconfort ressentis par les animaux».

Cependant, l’ensemble des mesures réalisées par le GPSE «n’a pas permis de mettre en évidence une tension anormale susceptible de modifier le comportement des animaux». De même, «les mesures effectuées pour les infrasons ne permettent pas de conclure que les éoliennes en génèrent à un niveau suffisant pour expliquer les désordres constatés».
Le rapport du GPSE «confirme la concomitance de l’installation et de la mise en service des éoliennes avec l’altération des performances et les troubles du comportement des animaux des deux élevages du site éolien». Ce rapport signale aussi l’intervention de géobiologues sollicités par les éleveurs qui auraient été d’une aide importante, sans renseignement précis à ce sujet (effet placebo ?). Le rapport du GPSE «ne peut exclure la transmission d’une nuisance par l’intermédiaire des failles et rivières souterraines, hypothèse cohérente avec la carte géologique des lieux et le fait que les deux élevages concernés sont situés dans la même zone géologique que les éoliennes en bordure de failles. Mais elle sera difficile à étayer dans l’état actuel de nos connaissances». L’arrêt des éoliennes suggéré dans ce rapport pourrait-il démontrer le rôle joué par celles-ci dans les deux élevages affectés ? Mais le coût de cet arrêt le justifie-t-il ? En fait, il semble peu pertinent dans la mesure où les désordres constatés ne sont pas d'origine électrique.

A la lecture de ce rapport et en l’état actuel de nos connaissances, il est difficile de conclure à une action des éoliennes en activité sur les troubles observés. Il n’y a pas de publications scientifiques ayant démontré une action nocive des éoliennes dans des élevages bovins dans d’autres régions ou d’autres pays, en particulier en Allemagne où il existe depuis plus longtemps qu’en France un important parc éolien. Les mammites subcliniques ne semblent pas être l’origine des modifications du comportement des vaches dans la salle de traite ou au robot de traite selon les experts. Selon le rapport du GPSE, «le point essentiel est la coïncidence chronologique entre les travaux d'accès, de câblage et de fondation, fin 2012, et les troubles du comportement». Mais il reste à démontrer que ces travaux aient pu jouer un rôle favorisant l'apparition des problèmes dans les deux élevages concernés, ce qui est particulièrement complexe. L’intervention de géobiologues n’est pas en faveur d’une explication scientifique [3].

Les champs électriques (en particulier les lignes électriques aériennes) et les champs magnétiques ont été souvent incriminés à tort dans des problèmes d’élevage (à l’origine de la création du GPSE en 1999) et il importait alors de mieux connaître les risques des courants électriques parasites dans les exploitations d’élevage. Dès 1993 (12 mars), un supplément technique de La Dépêche vétérinaire avait été réalisé par Henri Brugère sur ce sujet. Selon Henri Brugère [4], «à chacun son métier ! En cas de problème de santé animale, mieux vaut faire intervenir un vétérinaire que l’électricien. En cas de problème électrique, mieux vaut faire intervenir l’électricien que le géobiologue».
 
 

[2] Actes du séminaire « Eolien et biodiversité », 21-22 novembre 2017, Artigues-près-Bordeaux. https://eolien-biodiversite.com/programme-eolien-biodiversite/actualites/actes-du-seminaire-eolien-et-biodiversite-2017.
[4] Défaut de l’environnement électrique : élaboration d’un guide d’audit pour le vétérinaire. Journées nationales GTV, Nantes 2008, p. 1007.
Jeanne Brugère-Picoux

Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France
 

 
Le 17 juin dernier, Emilie H. est morte de la maladie de Creutzfeldt-Jakob nouveau variant (vMCJ) à l’âge de 33 ans (c’est-à-dire de la maladie humaine due à l’agent de l’encéphalopathie spongiforme bovine). Même si l’hypothèse ne peut être exclue, il est difficile de lier ce décès à une contamination d’origine alimentaire car il n’y a plus de cas humains de vMCJ depuis plusieurs années en Europe. Il pourrait s’agir d’une contamination d’origine accidentelle en 2010 lorsque Emilie H. travaillait dans un laboratoire Inra de Jouy-en-Josas (son contrat a durée déterminée a commencé en 2009 pour se terminer en 2012). En effet, Emilie H., réalisant des coupes au cryostat concernant des souris transgéniques humanisées inoculées avec le vMCJ (où la barrière d’espèce n’existe pas dans ce cas), s’est blessée le 30 mai 2010 avec un outil potentiellement contaminé qui a provoqué une coupure avec saignement (les deux gants de latex qu’elle portait ne l’ont pas protégée). Prise en charge par téléphone avec une infirmière 15 mn plus tard, sa plaie est désinfectée avec de l’eau de Javel. Inquiète, Emilie déclare cet accident de travail.

Sept années plus tard, en novembre 2017, les premiers symptômes apparaissent mais sa maladie ne sera diagnostiquée qu’en avril 2019 par la Cellule nationale de référence des maladies de Creutzfeldt-Jakob de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Celle-ci, après avoir mené une enquête, aurait conclu que l’origine de la maladie est compatible avec «une contamination accidentelle en milieu professionnel», du fait notamment de «l’exposition professionnelle à un agent bovin et/ou à l’agent de la maladie de Creutzfeldt-Jakob». Ceci peut être effectivement possible du fait que les seuls cas de contamination par le sang ont été observés avec le prion du vMCJ avec des temps d’incubation comparables (4 cas répertoriés au Royaume-Uni, dont 3 chez des sujets homozygotes ayant présenté la maladie).

L’affaire a été révélée, vendredi 21 juin, par Mediapart (Pascale Pascariello) : selon leurs informations, l’époux d’Emilie et ses parents ont déposé plainte pour «homicide involontaire» et «mise en danger de la vie d’autrui». Cette plainte est en cours d’étude au parquet de Versailles. Interrogé par Mediapart, le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche explique qu'il vient de confier à l'Inspection générale de l'administration de l'Education nationale et de la Recherche ainsi qu’à l’Inspection santé et sécurité au travail une enquête nationale pour évaluer les mesures de sécurité des laboratoires de recherche sur les prions et vérifier, par ailleurs, dans quelles conditions est survenue la contamination d'Emilie à l'Inra.

Pour les avocats de la famille d’Emilie (Marc et Julien Bensimhon), toutes les précautions ont-elles été prises pour prévenir puis prendre en charge une éventuelle infection ? Quatre questions précises sont posées : la jeune femme avait-elle bénéficié de la formation nécessaire face au risque de contamination ? était-elle équipée des gants anti-coupures qui auraient pu prévenir l’accident ? le protocole qui impose une décontamination sur place et immédiate a-t-il été respecté ? l’Inra a-t-il veillé à la santé de la jeune femme après cet incident ?

Il est évident qu’un tel accident lié aux prions avec une contamination humaine est une première en France et dans le monde. Il amènera les laboratoires à revoir les mesures de biosécurité sur les agents pathogènes humains mortels pour lesquels il n’y a aucun traitement possible. Selon la réglementation sur la prévention des risques des travailleurs exposés à des agents biologiques pathogènes, les prions étaient classés parmi les plus dangereux (de niveau 3 sur une échelle croissante de 1 à 4). Ainsi, les travaux de recherche devaient être réalisés dans des laboratoires en milieu confiné de type P3.

Alain Delacroix

Professeur honoraire, chaire "Chimie industrielle - Génie des procédés" du Conservatoire national des arts et métiers
 

Front de taille d'une carrière où l'on exploitait de la « lave volcanique » pour la construction

Carte postale ancienne montrant le front de taille de la carrière de M. Lavergnat où l'on exploitait de la « lave volcanique » pour la construction.
 
Le château et l’église de Rochechouart (Haute-Vienne) et les thermes de Chassenon (Charentes), entre autres, sont construits avec des pierres dont l’origine est restée longtemps mystérieuse. N. Desmaret, après son passage entre 1762 et 1771, décrit du granite à bandes d’origine plutonique ; Beausnil, en 1779, les appelle tuf volcanique. Les brèches de Rochechouart sont mentionnées officiellement la première fois dans un document préfectoral de 1809 intitulé « Les statistiques de la France, volume départemental de la Haute-Vienne ». On y trouve : « Brèches primitives. On donne cette dénomination à un agrégat qui occupe, dans la commune de Rochechouart, près d’un myriamètre [10 000 m] d’étendue. La découverte de cette brèche est nouvelle, et les minéralogistes qui l’ont observée ne sont pas d’accord sur sa nature ; les uns l’ont prise pour un ciment artificiel, les autres pour un produit volcanique. »

L’intérêt pour cette roche étrange ressemblant à un béton coloré, comportant à l’intérieur des cailloux de différentes tailles et un liant très fin, a fait l’objet de nombreux travaux scientifiques :

  • en 1833, Manès imagine une origine volcanique,
  • en 1858, Coquand pense à une origine sédimentaire,
  • en 1859, Alluaud penche vers une origine pyrogène,
  • en 1869, Mallard confirme l’hypothèse de Manès,
  • en 1901, Le Verrier admet l’hypothèse de Coquand,
  • en 1910, Glangeaud retravaille sur l’origine volcanique.

Entre 1935 et 1960, François Kraut, du Muséum national d’histoire naturelle de Paris, travaille sur ce sujet et pense accréditer une hypothèse confirmant une partie des précédentes. En 1967, il constate des analogies entre les brèches de Chassenon et les suévites du cratère d’impact du Ries en Allemagne. La visite de deux spécialistes du Meteor Crater et du cratère du Ries permet d’appuyer une nouvelle hypothèse d’un impact d’une météorite. En 1969, une équipe de géologues américains accompagnant François Kraut découvre des cônes de percussion sur les pierres d’un mur, ce qui accrédite la nouvelle théorie. Les brèches vont dorénavant porter le nom d’impactites.

Enfin, les thèses de P. Lambert (3e cycle en 1974, puis d'Etat en 1977) permettent de donner diverses informations sur les phénomènes liés aux chocs (minéraux choqués, cônes de pression), la taille du cratère et le type de météorite.

L’évènement s’est produit il y a un peu plus de 200 millions d’années (actuellement la datation 40Ar/39Ar donne 206,9 millions d'années à 0,3 ma près). Arrivée sur terre à la vitesse de 72 000 km/h, la météorite d’environ 1,5 km de diamètre et d’une masse de 6 milliards de tonnes a frappé le sol et s’est enfoncée en générant une onde de choc et en propulsant vers l’extérieur de nombreux éjectats. L’énergie cinétique s'est transformée alors en énergie thermique et de façon plus importante en énergie mécanique. La première a vaporisé la météorite et une partie des roches du sol. Les matériaux vaporisés sont retombés et ont conduit aux brèches, et dans le sol, il y a eu création de minéraux choqués et de cônes de pression. Depuis 200 millions d’années, le cratère a disparu en raison de l’érosion des sols mais une anomalie gravimétrique dans la région centrée sur le point d’impact confirme la fracturation du socle sur la zone concernée. Cette structure créée par l'impact d'une météorite géante s'appelle astroblème, du grec astron, astre, et blema, coup.

Actuellement, de très nombreuses recherches s’effectuent sur ce phénomène, en particulier sur la fragmentation ou non de la météorite. La notoriété de l’astroblème a permis de créer la Réserve naturelle nationale de l'astroblème de Rochechouart-Chassenon et le Centre international de la recherche sur les impacts et sur Rochechouart (CIRIR) [1].

 

Martine Courtois* et Denis Monod-Broca**


* Professeure agrégée honoraire du Conservatoire national des arts et métiers
** Ingénieur et architecte, secrétaire général de l'AFAS
 

De gauche à droite : Claudine Hermann, Claudie Haigneré, Christel Heydemann

C. Hermann, C. Haigneré, C. Herdemann (Colloque "Regards de femmes sur la science, l’innovation et l’industrie", 25 mars 2019)
 
Ce colloque s’est déroulé le lundi 25 mars 2019 après-midi à l'Hôtel de l'Industrie, dans le cadre de la 9e édition de la Semaine de l’industrie.
Organisé par la Société d'encouragement pour l'industrie nationale, l'association Femmes & Sciences, l'association Chercheurs Toujours et l'AFAS, il a été introduit par Evelyne Sevin, vice-présidente de la Société d'encouragement pour l'industrie nationale, qui a rappelé que cette association, fondée en 1801, reconnue d’utilité publique, a pour but d’encourager, de transmettre, de valoriser et de conserver la mémoire des activités industrielles.
Trois tables rondes se sont succédé devant un public nombreux (plus de 150 personnes) dans la salle Lumière, salle historique où les travaux des frères Lumière ont été présentés en 1895.

Colloque "Regards de femmes sur la science, l'innovation et l'industrie" (25 mars 2019)

Regards croisés de Claudine Hermann, Claudie Haigneré, Christel Heydemann

 
Les trois participantes de cette table ronde (vidéo), Claudine Hermann, Claudie Haigneré et Christel Heydemann, ont croisé leurs regards sur les thèmes de la science, de l'innovation et de l'industrie.

Claudine Hermann, enseignante-chercheuse et première femme à avoir été nommée professeure à l’Ecole polytechnique en 1992, insiste sur la nécessité de donner la voix aux femmes dans les sciences.
Claudie Haigneré, médecin rhumatologue, spationaute, ancienne ministre, ancienne présidente d’Universcience, souligne l’importance de donner l’envie des sciences.
Pour Christel Heydemann, présidente-directrice générale de Schneider Electric France, à la tête de 30 usines actuellement en France, dont celle de Normandie labellisée Industrie du futur, la vraie révolution de l’industrie est la technologie au service de l’innovation.

Après s’être présentées, elles ont débattu sur l’innovation pédagogique, l’innovation dans l’entreprise et l’innovation grâce à la recherche.
Quelques phrases relevées lors de cet échange : «Il est important de laisser entrer l’innovation à l’école» ; «La vraie révolution dans l’entreprise est celle liée à la transition numérique» ; «Les entreprises doivent expliquer leur raison d’être».
Les trois intervenantes insistent sur la place trop faible des femmes dans les entreprises, au niveau des scientifiques comme des managers, mais aussi dans les start-ups. Elles soulignent la nécessité pour les femmes de prendre conscience de leur valeur et de gagner en confiance.

Science, éthique et société – Le mouvement éthique : pourquoi maintenant?

 
Quatre participants à cette table ronde (vidéo), animée par Christine Kerdellant, directrice de la rédaction de L'Usine nouvelle, IT et L'Usine digitale :

Céline Calvez, députée des Hauts-de-Seine
Marie-Françoise Chevallier-Le Guyader, ancienne directrice de l’IHEST
Cecilia Papini, doctorante en chimie des processus biologiques au Collège de France
Patrice Debré, président de l’AFAS

 
M.-F. Chevallier-Le Guyader fait remarquer que, dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, nous sommes passés de l’éthique à la bio-éthique. La réflexion en la matière doit avoir lieu en permanence : «Nous avons besoin de recul, de sens commun», dit-elle.

L’Histoire, comme le rappelle P. Debré, éclaire le présent. Les expériences conduites pendant la seconde guerre mondiale notamment nécessitent qu’aujourd’hui les scientifiques soient des experts capables de réfléchir aux conséquences de leurs recherches. «Jusque récemment, certaines expérimentations sur l’homme se sont faites dans des conditions honteuses». Toute expérience doit s’accompagner de réflexion éthique et prospective sur ses conséquences. Les repères suivants ont été rappelés : procès de Nuremberg, notion de consentement éclairé dans l’expérimentation humaine, allocution de François Mitterrand pour l'installation du Comité consultatif national d'éthique en 1983 («La science d'aujourd'hui prend souvent l'homme de vitesse»).
Cela souligne qu’il faut expliquer et partager les connaissances. La réflexion éthique doit se nourrir également de savoirs. Le raisonnement scientifique est une condition du dialogue entre chercheurs et société. «Sinon la connaissance et la société avanceront séparément l’une de l’autre».

Pour C. Papini, les chercheurs ont le devoir de parler à la société. Et la société a le droit d’interroger les chercheurs.

C. Calvez s’interroge : «Comment répandre l’esprit scientifique ? comment atteindre le juste et le vrai ?». Elle fait part du rapport déposé à l’Assemblée nationale, composé de 23 recommandations pour améliorer la place des femmes dans le monde scientifique en France [1].
Quel sera l’apport de la réforme du baccalauréat avec l’ouverture à la pluridisciplinarité ? Apportera-t-elle des moyens pour que la culture scientifique diffuse parmi les non-scientifiques ?
Et d'ailleurs pourquoi, dans les boutiques du Palais de la découverte ou de la Cité des Sciences, les microscopes sont-ils présentés comme étant pour les garçons et les crayons de couleur pour les filles ? ...

P. Debré donne l’exemple du cœur de poisson, capable de se régénérer, à la différence du cœur des mammifères, et dont on pourrait faire profiter, par modification génétique idoine, un cœur d’homme, et il demande : «Jusqu’où aller ?». La réponse éthique est d’en rester à «guérir, éviter la souffrance». La réflexion et le partage des connaissances sont plus rapides et plus efficaces que la loi.

C. Calvez : «L’esprit scientifique est une condition de l’éthique.»
C. Kerdellant : «La prudence de l’Europe ne l’handicape-t-elle pas ?»
P. Debré : «Sachons développer la diplomatie éthique.»
M.-F. Chevallier-Le Guyader : «La réflexion éthique nous donne au contraire un avantage.»
C. Calvez : «N’oublions pas les vertus du doute !»
P. Debré : «La vérité scientifique existe-t-elle ?»

Science, applications et industrie – L’innovation en réponse aux défis économiques et sociaux?

 
Cinq participants à cette dernière table ronde (vidéo), animée par Dominique Leglu, directrice de la rédaction de Sciences et Avenir et de La Recherche :

Catherine Ronge, lauréate Montgolfier 2008, fondatrice de Weaver Air
Sophie d’Ambrosio, lauréate de la bourse L’Oréal-Unesco 2018
Julie Rouzaud, Deeptech Program Manager de l’incubateur Willa
Christelle Chapteuil, directrice générale des laboratoires Juvasanté (Groupe Urgo)
Sylvain Maillard, lauréat Montgolfier 2016 et député de Paris

 
Chaque intervenant décline sa perception de ce dernier thème. On note dans les échanges les phrases suivantes : «Pour avoir un impact positif, il faut innover» ; «Il faut innover, mais il faut le bon moment, le bon contexte, pour réussir cette innovation» ; «Il faut innover en France et fabriquer en France» ; «Il faut des entreprises pour que la technologie reste en Europe».
On note également quelques exemples d’innovations, issues des usages : le pansement intelligent, la facilitation des transports pour réduire les trajets dits en Z, le programme aidé de drones capables de surveiller les feux de forêt et d’aider les pompiers dans leur lutte.
Sylvain Maillard rappelle que la mode a été de supprimer les usines en France et qu’heureusement on en revient, le développement de l’industrie étant la base de tout.
Question : quel est le taux de réussite des innovations ? Chez Nestlé, on compte, paraît-il, sur un taux de 1 sur 250. Chez Urgo, selon Christelle Chapteuil, il est de 1 sur 10.

Il y a urgence, n’avons-nous pas trop peur ?

Conclusion de M.-F. Chevallier-Le Guyader : «On ne perd jamais de temps à réfléchir.»

Cet après-midi se termine par un message vidéo d’Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Economie et des Finances, enregistré à l’attention des participants à ce colloque, avant le mot de la fin d’Evelyne Sevin.
 

Jean de Kervasdoué

Professeur émérite du Cnam, membre de l’Académie des technologies
 
La santé rationnée, un mal qui se soigne (J. de Kervasdoué, D. Bazzocchi, Economica, 2019)
 
Avant de pouvoir être prescrite par un médecin à un patient, toute innovation médicale, qu’elle soit diagnostique ou thérapeutique, doit être autorisée à être « mise sur le marché ». Cette première et longue étape ne suffit pas car, pour la très grande majorité des patients, il faut aussi que cette innovation soit remboursable par l’assurance maladie ; elle doit donc être inscrite à une nomenclature et obtenir un tarif. Le bien-fondé de cette procédure ne se discute pas : il faut en effet qu’une « innovation » en soit vraiment une et qu’elle améliore l’arsenal thérapeutique. Toutefois, la procédure française est longue, lente, bureaucratique et, paradoxalement, dessert les entreprises nationales. Quant au rationnement, c’est le mot qui convient et qui se dissimule derrière ce que l’on appelle pudiquement « régulation ». Or il s’agit bien d’une limitation autoritaire de l’accès à un produit ou à un service par des procédures de restriction de l’offre et le choix d'un niveau de remboursement par l’élaboration d’un tarif. Un tarif n’est pas un prix. Contrairement au prix, il ne signale en rien les préférences du consommateur, l’importance de la demande et l’éventuelle rareté de l’offre.
Dans le domaine de la santé, pratiquement tout est rationné : hôpitaux, clinique, médicaments, tarifs et cela s’appelle : autorisation, numerus clausus, inscription à la nomenclature… derrière toutes ces politiques, derrière tous ces mots se trouvent des mécanismes de régulation qui, tous, rationnent. Le plus souvent conçus au cours des décennies passées, ils structurent le système de santé et, à l’évidence, pour beaucoup d’entre eux, sont obsolètes, pas ou mal gérés. Les lignes qui suivent ne vont que très succinctement traiter du rationnement de l’innovation. Le lecteur intéressé pourra se reporter à l’ouvrage que nous venons de publier.[1]

La médecine s’est transformée grâce à l’innovation

Dans le domaine des soins médicaux, l’innovation joue un rôle analogue à celui des autres secteurs et se traduit notamment par une amélioration sensible de la productivité, mais aussi, en augmentant le champ du possible, les innovations médicales permettent de mieux diagnostiquer, de mieux soigner des maladies jusque-là incurables et, simultanément, accroissent les dépenses de soins.
L’innovation en santé est un sujet positif et fédérateur. Il ne suscite pas les mêmes craintes qu’en agronomie où la population redoute l’usage des OGM comme celui des produits de synthèse pour améliorer la santé des plantes. Ainsi, les Français soutiennent très généreusement les initiatives du Téléthon dont l’objectif est, notamment, de permettre de réaliser des manipulations génétiques pour soigner les patients porteurs d’allèles récessifs aux effets pathogènes. A juste titre, ils croient au progrès dans le domaine sanitaire et semblent être disposés à prendre des risques quand il s’agit de leur santé même si des voix plus réservées se font sentir, en matière de vaccins par exemple.
« Innovation », le sens de ce mot, nous venons de le voir, est emporté par sa connotation positive. En lui sont placés tant d’espoirs : soigner les pathologies jusqu’ici incurables, abolir les conflits organisationnels, réduire le déficit de l’assurance maladie, créer de l’emploi, permettre le développement « durable »... Innovez ! Peut-être, mais quand et pourquoi ? Toutes les innovations ne sont pas nécessairement des progrès.
Certaines de ces inventions – pas toutes – permettent de prendre des brevets et, ce faisant, protègent l’idée de l’inventeur durant une période donnée (20 ans le plus souvent) en lui garantissant un monopole. L’économie libérale non seulement reconnaît mais favorise ce type de monopole et intervient quand il est menacé. Le procès de Pretoria intenté par trente entreprises pharmaceutiques contre le Gouvernement sud-africain pour avoir autorisé la copie des constituants de la trithérapie pour les patients porteurs du virus du sida souligne l’importance donnée à la propriété intellectuelle, y compris quand les fondements éthiques des procès pour plagiat illégal sont pour le moins discutables.

Toute innovation modifie les structures sociales

Quand une innovation apparaît, quelle que soit la source, ces acteurs vont immédiatement se poser la question de savoir en quoi cette chose, ce concept, ce système va ou non modifier leur pouvoir. Oui, y penser toujours, ne le dire jamais, les organisations, et notamment les hôpitaux, sont aussi des systèmes de pouvoir où personne n’a envie de se tirer une balle dans le pied sous prétexte que l’innovation pourrait être globalement bénéfique.
Ainsi, l’hospitalisation de jour n’a que des avantages pour le patient (les établissements hospitaliers sont des institutions essentielles mais dangereuses et moins on y séjourne, mieux on se porte) comme pour la collectivité (le coût est environ la moitié d’une hospitalisation traditionnelle). Pourtant, depuis plus de trente ans, elle diffuse très lentement à l’hôpital public. Les raisons sont simples. En France, les directeurs n’interviennent pas dans l’organisation des soins médicaux. Chaque « service », « pôle », « département » est indépendant. Personne n’est donc capable d’imposer une organisation contraignante à l’anesthésiste, au chirurgien, aux labos, à la radio, aux soignants qui ne gagneront pas un centime de plus pour modifier les habitudes qui veulent que l’on opère quand on veut, le matin, en commençant par les cas graves… A moins que quelqu’un ne s’en saisisse, prenne le pouvoir, modifie l’organisation et règne sur ce nouveau territoire... en attendant la prochaine innovation ou le départ de l'innovateur.
Si le dossier médical partagé n’a pas réussi, là aussi la raison est simple. Quand une procédure quelconque (contribuer à remplir un dossier informatisé dans ce cas), ne fait pas partie du contrat de travail et qu’aucune sanction ne suit le non-respect de la procédure, elle est inefficace et, un jour ou l’autre, abandonnée. Autrement dit, aussi, quand il n’y a pas de pouvoir, il n’y a pas d’innovation diffusée.
Les innovations médicales bouleversent ou confortent le pouvoir à l’hôpital des uns ou des autres, comme il peut conforter celui d’une profession. Donc c’est l’hôpital, ses règles, ses structures de pouvoir qui vont permettre que certaines innovations soient rapidement adoptées, alors que d’autres seront superbement ignorées quoique, peut-être, plus utiles. Il en est de même des professions libérales.
Non seulement une innovation trouve, ou ne trouve pas, sa place dans un système social donné, mais l’innovation peut être tout ou partie du système lui-même. Tout d’abord, il est rare qu’une innovation seule bouleverse une institution, mais cela arrive ; ainsi le traitement de la tuberculose par antibiotique a conduit en une décennie à la fermeture des sanatoriums. Le plus souvent, une innovation prend sa place dans un système technique et contribue à son évolution, jusqu’à, parfois, le bouleverser. Les innovations évoluent en grappe (clusters). Ainsi, à l’échelon mondial, la puissance toujours croissante des calculateurs a permis le développement de la génomique, mais il a fallu aussi des progrès dans les nanomatériaux, dans la protéinomique, pour que la neurobiologie, entre autres, se développe et apparaisse la médecine dite « personnalisée »... La science des uns est la technique des autres. Les découvertes d’une discipline (le microscope par exemple) ouvrent à une autre discipline (la biologie), un autre monde, et est source de découvertes. Aujourd’hui, le facteur déterminant, le primum movens, est l’informatique grâce à laquelle, notamment, le séquençage du génome humain a été possible.

Une incapacité à soutenir les inventions et les innovations médicales nées en France

Tous les grands pays industrialisés défendent leurs industriels et privilégient donc les inventions et les innovations nationales. Certes, elles ne peuvent pas toujours le faire, soit parce qu’il n’y a pas d’industrie nationale, soit que le produit inventé à l’étranger est particulièrement innovant, mais pour beaucoup – pratiquement tous –, c’est la réalité pratique, même si, juridiquement cela est interdit, en principe, notamment par la réglementation européenne ! Certes, certains pays sont moins brutaux, plus subtils que d’autres, certes – en apparence – les règles sont respectées, mais de fait, les étrangers ayant des produits de qualité « n’ont pas de chance » dans la plupart des appels d’offre et ces « manques de chance » répétés se reproduisent avec une constance telle qu’elle ne doit rien au hasard. La France est, de ce point de vue, plus « exemplaire [2] » que ses voisins ! Il n’est pas facile pour un concurrent de Siemens de vendre un produit quelconque dans un hôpital allemand, car il y a un représentant de cette très grande entreprise au conseil d’administration de plus de 300 établissements hospitaliers. Outre-Rhin encore, une grande entreprise française de matériaux utilisés dans les hôpitaux était toujours seconde dans les appels d’offre, jusqu’à ce qu’elle achète une entreprise allemande. Aux Etats-Unis, la Food and Drug Administration (FDA) regarde avec une attention très particulière – et très longue – les innovations étrangères. Au Japon, le soutien est encore plus manifeste, car les hôpitaux surpayent les produits japonais pour qu’ils dégagent une marge et exportent à un coût très inférieur. Aux Etats-Unis de nouveau, beaucoup de recherches, y compris dans le domaine de la santé, sont financées par le ministère de la Défense... Ce patriotisme d’ailleurs est partout, sauf en France [3], culturel, naturel, donc automatique. Ainsi, pour participer au développement d’une startup prometteuse française dans le domaine des vaccins, les éventuels investisseurs étrangers posent comme préalable le transfert ou, a minima, la création d’une filiale dans leur pays et ce, en dehors de tout impératif réglementaire.
Il est très difficile pour un acheteur public de décoder la stratégie commerciale d’une entreprise et il n’est pas certain que cela soit son rôle ; cependant il est fréquent que les prix bas soudainement proposés pour tels ou tels produits par une entreprise à un instant donné ne soient que la manière de sortir du marché un concurrent aux reins financiers moins solides, le plus souvent une petite entreprise française. A terme, la faillite du concurrent innovant permettra à ceux restés en place d’augmenter leurs prix, cette « mauvaise » période passée.
Pour les produits remboursés par l’assurance maladie (médicaments, prothèses, appareils d’imagerie, de radiothérapie et autres produits médicaux) se pose aussi la question du tarif et, tout aussi cruciale, la question de la vitesse d’analyse du dossier. Là encore, le plus souvent, l’instruction est longue, la procédure mal cernée et peu claire et, contrairement à ce qui se passe à l’étranger mais conformément à la loi, les entreprises françaises ne sont guère favorisées.
Soulignons encore que toutes ces procédures sont justifiées car un malade ne peut pas juger seul de la qualité d’un produit et, le cas échéant, se prémunir de ses éventuels dangers. L’assurance maladie ne peut pas payer à guichet ouvert même si les industriels souhaitent bénéficier d’une liberté des prix et de la certitude de jouir d’un marché solvable. Néanmoins, toutes les innovations médicales sont triplement rationnées : à l’entrée sur le marché, pour le niveau de remboursement par l’assurance maladie et le montant du tarif.

Un niveau de preuve élastique

Quel niveau de preuve, quelle « évaluation » compte tenu des caractéristiques du produit, de ses bénéfices potentiels, de son coût, sont-ils nécessaires pour inscrire un produit à la nomenclature et notamment quand l’expérimentation n’est pas possible ? Quand les patients ne sont pas affectés de manière aléatoire à un groupe de contrôle pour tester le bénéfice d’une technologie, on parle de « quasi-expérience ». Ces méthodes sont très utilisées en politique de santé pour étudier, par exemple, l’efficacité des mesures pour limiter le tabagisme, mais c’est aussi le cas de toutes les études de cohorte, des panels, des études « avant-après ».
La simplicité n’est encore qu’apparente, le niveau de preuve, variable et, derrière ces procédures, se cache un rapport de force entre l’Etat et l’entreprise. Il peut être en faveur de l’entreprise si sa découverte est majeure et sa base internationale, ou en sa défaveur si l’entreprise est une PME, en général française. Ainsi on voit bien qu’une décision scientifique peut être « utilisée pour réguler un mode de financement » [4] et retarder non seulement l’accès à une innovation, mais l’innovation elle-même. En effet, les règles françaises sont appliquées de telle façon que les rares essais cliniques qui s’y font encore se déplacent vers l’Allemagne ou les Etats-Unis.
Prenons l’exemple de Theraclion, entreprise française. Elle met au point un dispositif médical qui traite les adénofibromes du sein et des nodules thyroïdiens grâce à une machine à ultrasons, l’Echopulse. La Haute Autorité de santé (HAS) est consultée et se déclare enthousiaste, mais va demander de tels niveaux de preuves qu’il va être impossible de répondre car elles sont en l’occurrence inappropriées. En effet, comme il n’y a pas aujourd’hui de traitement techniquement comparable (il s’agit d’ultrasons et les traitements actuels sont médicamenteux), il n’est pas possible de réaliser un essai randomisé en aveugle : les patients seraient capables pour le moins de faire la différence entre avaler un médicament et être exposé à une machine produisant des ultrasons ! L’agence française exige donc une « preuve » impossible quand l’agence américaine compétente, la FDA, impose des critères plus réalistes, répond plus vite et accompagne l’inventeur pour qu’il puisse apporter rapidement l’illustration tangible du bienfait allégué de cette innovation potentiellement importante. Ainsi, deux années après le démarrage de l’étude, la moitié des patients américains ont été traités et pas un seul ne l’est encore en France. En outre, comme en France les critères en matière de conflits d’intérêts sont devenus totalement déraisonnables, les experts en matière d’ultrasons ont tous été écartés par la HAS ! Si bien que David Caumartin, le directeur général des laboratoires Theraclion, déclare : « Politique de risque zéro + absence de compétence + zéro transparence : nous sommes dans une impasse. Il y a un vrai problème de culture face à l’innovation en France. Dans les pays anglo-saxons et en Allemagne, il y a un vrai pragmatisme. Résultat, je ne programme plus de nouvel essai clinique en France, à part le forfait innovation... La situation n’est pas démoralisante. Elle est révoltante. » [5]
Tout cela ne surprend pas. Nous avons dans d’autres ouvrages [6] expliqué pourquoi il en serait ainsi et en quoi la responsabilité civile et pénale des fonctionnaires, comme l’excès de précaution, les conduiraient à ouvrir des parapluies multiples pour n’être responsables de rien par crainte, étant accusés de tout, d’être un jour coupables d’avoir pris un risque. Il faut dire que la classe politique, échaudée par l’affaire du sang contaminé, ne protège pas les experts et hauts fonctionnaires qui doivent prendre ces responsabilités. Remarquons en outre que les réglementations et précautions n’ont pas empêché l’affaire du Mediator, pas plus que le fait que des entreprises mondiales innovantes pèsent de tout leur poids sur les systèmes sociaux des pays occidentaux, jusqu’à les prendre en otage. L’affaire du Solvadi illustre un processus inverse, cette fois au bénéfice de l’entreprise. Il se généralise et montre comment certaines d’entre elles peuvent manipuler les systèmes de protection sociale et, bien entendu, les habitants de la planète. L’accès au marché, la négociation des tarifs mettent en jeu des intérêts considérables.

Une politique de l’innovation asservie au seul équilibre des comptes de l’assurance maladie

Quand on se penche sur plus d’un demi-siècle de politique du médicament, le bilan n’est guère positif. Non seulement la place de l’industrie française recule, mais les dépenses de médicaments dépassent de 12% la moyenne des pays comparables alors que les tarifs sont bas. Il y a deux raisons essentielles à cela. La première est qu'à l'exception du « crédit d'impôt recherche », l’Etat et les directions concernées (Sécurité sociale, Budget) n’ont pas su distinguer, comme l’ont fait leurs équivalents britanniques, l’élaboration d’une politique industrielle favorable aux entreprises du secteur et, par ailleurs, la maîtrise des dépenses de soins médicaux. La seconde raison provient du fait que le rationnement ne concerne que l’entrée sur le marché et les tarifs, pas les volumes. Les médecins français ont jusqu’ici réussi à ce que leurs prescriptions ne soient pas ou peu contrôlées, fussent-elles en dehors des indications définies au moment de l’autorisation de mise sur le marché. En outre si, bien entendu, les industriels font tout pour que leurs médicaments puissent être vendus et remboursés, ils ne font rien pour les sortir de la liste qui les a mis sur le marché quand ils ont été remplacés par des thérapeutiques plus efficaces. Or il existe des médicaments autorisés qui n’ont aucun effet thérapeutique (les médicaments homéopathiques), d’autres qui sont tout aussi inefficaces et plus dangereux (les médicaments prescrits aux patients atteints de la maladie d’Alzheimer), enfin, et c’est le cas le plus général, beaucoup de médicaments sont mal, parce que trop, prescrits. Ainsi, nous estimions de manière conservatrice que l’on pourrait économiser de l’ordre de 3,5 milliards d’euros de dépenses d’assurance maladie si les médicaments étaient prescrits à bon escient [7].

Une révolution sans réforme

La France dispose des mécanismes institutionnels qui permettent au plus grand nombre d’accéder en toute sécurité aux innovations médicales. Il n’y a de rationnement explicite (comme au Royaume-Uni) que dans la gestion de la « liste en sus » de certains médicaments hospitaliers. Faute d’être capable de gérer le bon usage des médicaments, trop ou pas assez prescrits, la puissance publique (Etat et assurance maladie) a surtout joué sur la fixation des tarifs, ce qui est de bonne guerre, et, de manière plus contestable, sur le taux de remboursement par l’assurance maladie. Cette dernière mesure est contestable car le complément de ce que ne rembourse pas l’assurance maladie est pris en charge par des assureurs privés qui couvrent plus de 93% de la population. Autrement dit, l’effet dissuasif est nul. Quant à la baisse de prix, quand elle descend au-dessous de certains seuils, les entreprises cessent d’approvisionner le marché et les ruptures de stock se multiplient.
Il n’y a pas eu de distinction entre une politique industrielle favorable à l’industrie et une politique médicale qui chercherait la juste rémunération des industriels. Cette politique est marquée par la trop large extension du principe de précaution, comme celle des conflits d’intérêts qui conduit au transfert des essais, voire des entreprises vers d’autres pays.
Mais la caractéristique essentielle est l’opacité de ce millefeuille bureaucratique. Il n’est transparent pour personne. Il n’est pas géré, les fonctionnaires qui ont la tutelle des agences sont très peu nombreux. L’Etat manque d’expertise scientifique et technique, ce qui laisse la place à un champ de bataille où rentre beaucoup d’argent et dont sortent certes des innovations mais aussi quelques cadavres industriels, le plus souvent français. L’Etat ne consacre pas suffisamment de temps et d’agent à gérer ce qui est son outil économique essentiel : la conception des actes et le calcul de leur tarif.
Il n'y a aucun texte à changer, seulement la manière de les appliquer, ce qui, à l'évidence, semble quasi impossible.

 

[1] Jean de Kervasdoué, Didier Bazzocchi, La santé rationnée – Un mal qui se soigne, Economica, Paris 2019.
[2] Il eut été possible de choisir un autre qualificatif.
[3] Il suffit pour s’en convaincre de regarder la marque des automobiles achetées par les cadres supérieurs des grands groupes français.
[4] Dr Anne d’Andon, « Halte à la dérive de notre évaluation purement scientifique », Décision & Stratégie Santé, N° 310, printemps 2018.
[5] David Caumartin, Entretien, « Nous ne sommes pas en train de décrocher, nous sommes largués », Décision & Stratégie Santé, N° 310, printemps 2018.
[6] Jean de Kervasdoué, Ils ont perdu la raison, Robert Laffont 2014. Qui paiera pour nous soigner – l’Asphyxie solidaire, Fayard 2017.
[7] Roland Cash, Jean de Kervasdoué, La coûteuse inégalité des soins, Soigner mieux, soigner moins cher. Economica, Paris 2018.